Le témoignage d'un neurolgue sur les contraintes de l'hôpital

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Pboulanger Prés.
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Le témoignage d'un neurolgue sur les contraintes de l'hôpital

Message par Pboulanger Prés. »

Bonjour à tous

Je vous poste ici, avec son autorisation, le témoignage du docteur Sophie DEMERET, neurologue à la Pitié-Salpêtrière. sur la gravité de la situation... Elle est responsable d'une unité de réanimation à Paris ...
Médecin responsable d’une unité de réanimation, je veux témoigner de la gravité de la situation de l’hôpital public et du danger majeur et immédiat pour la santé de tous.

Mon unité tourne maintenant avec 25% de lits fermés, et ce depuis plusieurs mois.
  • La raison ?
    le manque d’infirmières et d’aides-soignantes, sans lesquelles la délivrance des soins est tout bonnement impossible.
  • Et pourquoi ?
    parce que travailler pour un salaire très insuffisant ne peut se faire que grâce à un sentiment profond de donner aux autres, aux souffrants, aux patients, les bons soins, le réconfort, l’accompagnement indispensable et vital pour ceux qui traversent la maladie.
Cette mission n’est plus possible aujourd’hui.

Les conditions de travail, le manque d’effectif, la prédominance des aspects financiers sur les aspects humains ne permettent plus d’exercer le métier de soignant avec cette éthique et ce souci de l’autre.

Le manque d’effectif finit par épuiser les plus tenaces, la spirale est lancée et il faut faire vite pour arrêter l’hémorragie.

Alors oui, il faut augmenter les salaires, augmenter les effectifs et rouvrir des lits. Parce qu’au-delà des soignants, c’est nous tous, patients potentiels, qui sommes en danger, en danger de mort.

Les lits sont fermés, mais il n’y a pas moins de malades, ils attendent sur des brancards aux urgences ; il faudrait qu’ils ne passent pas par les urgences, mais ils ne trouvent plus de médecin généraliste au départ du leur à la retraite, et attendent parfois des mois pour un RDV avec un spécialiste tant en ville qu’à l’hôpital.

Il ne faut pas se leurrer, le changement de règles du jeu pour le fonctionnement de l’hôpital public depuis plus de 10 ans a déjà profondément modifié notre système de soins.

A notre corps défendant, insidieusement :
  • Nous travaillons plus vite, avec moins de personnel, au dépens du temps d’accompagnement, d’information, de soutien des patients.
  • Nous raccourcissons les séjours, sachant que c’est trop tôt pour la sortie, ou pas le bon endroit, du fait du manque de lits d’aval en rééducation, soins de suite, soins de longue durée pour les patients qui ne pourront plus rentrer chez eux ;
  • Contrairement à tous nos principes, nous trions les malades, parce que la réduction des lits et la course à l’activité pour financer l’hôpital nous y oblige :
    • tel patient risque de rester longtemps parce que trop malade pour être sur pied et quitter rapidement le service,
    • tel autre qui vit dans la rue et dont on se refusera (pour l’instant) à l’y renvoyer pour sa convalescence ;
    • et celui qui n’a pas de papiers, l’état français a l’intention de nous interdire de le soigner, en lui refusant l’aide médicale d’état.

Faire sortir un patient trop tôt, le refuser parce que trop lourd médicalement ou « socialement » ne peut qu’engorger les urgences, avec des patients plus graves car pris en charge avec retard, et qui finiront dans les lits de l’hôpital parce que « imposés » par les urgences, qui sont la vitrine de la grave crise de notre système de santé ; 

Exclure les migrants et ceux qui n’ont plus leur place dans le système de soins touchera l’ensemble de la population par le biais de la réapparition de maladies contagieuses, comme la tuberculose.

Mais surtout, il est impossible de supporter et d’accepter cela en tant que soignant, Hippocrate se retournerait dans sa tombe.

Nous avons le devoir de soigner tout le monde, et trahir ce devoir est éthiquement condamnable, et psychologiquement insupportable, comme en atteste la fuite des soignants de l’hôpital.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Parce que nous sommes mal organisés disent nos responsables.

Mais depuis 2009, après la loi « Hôpital, patients, santé et territoire », dite loi Bachelot, l’hôpital est géré par des administratifs, sans les soignants, selon des règles budgétaires ; le résultat est là.

Le problème n’est pas celui de l’optimisation des moyens. C’est celui du manque de moyens, et de la gestion purement financière, à la manière d’une entreprise dont l’objectif est la rentabilité.

Maintenir et sauver notre système de soins doit être un choix de société, qui nécessite d’y allouer les moyens nécessaires.

Sur un plan individuel, qui fait le choix de se soigner sans dépasser un certain coût ? Qui estime que sa santé, son hospitalisation ou celle d’un proche gravement malade est trop coûteuse et qu’il faut y mettre un terme ? 

Notre société doit faire ce choix-là collectivement, décider si la santé est une priorité et si elle est prête à en assumer le coût financier.

Les politiques, élus pour nous représenter, devront suivre ce choix de société.

Et aujourd’hui c’est un cri d’alarme que poussent les soignants.
Par pour notre bien-être ou des revendications individuelles, mais pour notre devoir d’être garant de notre santé à tous, des malades d’aujourd’hui et de demain.

Mesdames messieurs les patient(e)s, qui souffrez de la dégradation de notre système de soins, je vous présente mes excuses, même si je ne suis pas responsable.

Je serai responsable de ne rien dire et ne rien faire, et c’est pourquoi, avec autant de mes collègues médecins, infirmiers, aides-soignants, kiné, psychologues, nous mettons tant d’énergie à éviter le naufrage de notre santé.

Dr Demeret, Responsable Réanimation neurologique, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris.
N'hésitez pas à partager ce texte  avec tous vos contacts afin que tous prennent la mesure de ce qui est entrain de se passer dans notre système de santé.

A titre personnel et en tant que Président de l’Association, je la remercie pour ce témoignage et cette prise de position.

Merci à toute et tous d'avoir lu et, je l'espère, diffusé ce texte.
 
Amicalement,
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