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Covid-19 : peut-on vraiment "vivre avec le virus" ?

Posté : 19 juil. 2022 11:53
par Pboulanger
Bonjour à tous,

Lu sur https://www.francetvinfo.fr/sante/malad ... S-3-[sante]

Covid-19 : peut-on vraiment "vivre avec le virus" ? 

D'après l'épidémiologiste William Dab, cette expression utilisée par Emmanuel Macron est "un slogan vide de sens". Cet ex-directeur général de la santé regrette "un message défaitiste". Selon lui, "vivre avec le virus, ce n'est pas ne rien faire".
 
 
Propos recueillis par - Louis Boy
France Télévisions
Publié le 19/07/2022 07:06

Mis à jour le 19/07/2022 08:50
 

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Ignorer complètement le virus n'est pas forcément possible ni souhaitable : pour William Dab, nous devons mieux connaître les risques du Covid-19 pour décider des précautions à prendre. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Le pic des contaminations est passé et celui des hospitalisations ne devrait pas tarder. La France entrevoit un reflux de la septième vague du Covid-19. Mais elle est venue rappeler que nous n'en avions pas fini avec cette pandémie, qui continue de tuer, de provoquer des séquelles et d'encombrer des hôpitaux déjà en crise de recrutement.

>> Morts, hospitalisations... Suivez l'évolution de l'épidémie en France

Alors que la plupart des mesures sanitaires ont pris fin, beaucoup de Français espéraient sans doute savourer des vacances d'été sans avoir à s'en préoccuper, et commencer à "vivre avec le virus". Est-ce une possibilité ou un mirage ? Que faudra-t-il changer durablement dans nos vies pour cohabiter sans risque avec le Covid-19 ? Franceinfo a interrogé l'épidémiologiste William Dab, qui a été directeur général de la santé de 2003 à 2005.

Franceinfo : La vague de contaminations qui a débuté en juin est paradoxale : elle rappelle que nous n'en avons pas fini avec l'épidémie, mais ses conséquences à l'hôpital semblent plus limitées. La jugez-vous alarmante ?


Willam Dab : Quand je regarde les chiffres [au 13 juillet, date de cette interview], nous sommes chaque jour à 1 500 hospitalisations, 130 admissions quotidiennes en soins critiques, près de 80 décès... Je n'appelle pas ça un retour à la normale.

"Pour moi, nous sommes dans une guerre de tranchées. 
Il est illusoire de penser
que cette pandémie est derrière nous.
Où en est-on ?
La vérité est qu'on ne le sait pas.
Son évolution est totalement imprévisible."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


Le scénario favorable serait que s'imposent des variants contagieux mais d'une virulence assez banale. Le scénario catastrophe serait qu'apparaisse un variant plus contagieux et qui contourne l'immunité acquise par la vaccination ou la maladie. On ne peut pas tirer des observations du passé des tendances pour l'avenir, on voit que le Covid-19 ne fonctionne pas comme ça.

Dans ce contexte, beaucoup s'accrochent à l'idée qu'il est ou qu'il sera bientôt possible de "vivre avec le virus", selon l'expression popularisée par Emmanuel Macron. Que pensez-vous de cette idée ?


"Vivre avec le virus" est un slogan vide de sens. Evidemment qu'on va vivre avec le virus, vu qu'on ne va pas le détruire. Plus personne (même les Suédois) ne table sur une immunité collective contre un virus avec un tel potentiel de mutation. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'on ne fait rien par fatalisme ? Ou au contraire qu'il faudrait revenir à des mesures liberticides ? Je crois qu'on peut être plus intelligents.

"La pédagogie actuelle est complètement déficiente."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


Il faut d'abord dire que la pandémie n'est pas terminée, qu'elle reste une grave menace face à laquelle on ne peut pas rester passifs. Et il faut expliquer aux gens comment adapter leur comportement pour protéger leur santé et leur donner les moyens de le faire.

A vos yeux, quels sont les moyens qui ne sont pas mobilisés aujourd'hui ?


On a des outils individuels, comme la vaccination. Je ne sais pas pourquoi nous sommes en panne sur les doses de rappel, sans parler de la vaccination des enfants, alors qu'on a montré qu'on était capables d'avoir une véritable mobilisation en France. Il y a ensuite les mesures barrières. Il ne me paraît pas compliqué d'expliquer aux gens qu'il y a des circonstances dans lesquelles le risque de contamination va être plus élevé, comme dans les lieux très fréquentés et clos – les gares, les aéroports, les avions, les trains, les transports en commun... Là, ce n'est quand même pas une contrainte insupportable de demander aux gens de porter le masque.

Tout dépend de leur perception du risque qu'ils encourent. Y a-t-il là aussi des messages à faire passer pour que les Français ne baissent pas la garde ?


On a des études qui montrent qu'avoir été infecté deux fois, trois fois, augmente le risque de complications cardiaques, pulmonaires, d'AVC ou de problèmes rénaux. Pourtant, je n'entends pas les autorités mettre en garde la population sur le fait que le Covid-19 n'est pas une infection bénigne.

"On peut aussi rappeler
qu'on estime que
2 à 3% des personnes contaminées font une forme longue,
ce qu'on appelle un Covid long ou chronique,
dont on ne connaît pas du tout l'évolution."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


L'imagerie cérébrale montre que le virus modifie certaines structures du cerveau. Est-ce que c'est provisoire ou est-ce que ça préfigure des complications plus préoccupantes ? On n'en sait rien aujourd'hui. Cette incertitude-là, il faut que les gens la connaissent. Si on ne leur dit rien, ils n'intégreront pas ce risque dans leur décision de protection.

On peut enfin rappeler qu'il y a en France des centaines de milliers de personnes dont l'immunité est affaiblie, notamment les malades du cancer dont les chimiothérapies sont immunodéprimantes. Elles méritent d'être protégées. On doit y penser quand on décide de porter le masque ou non. Si ce raisonnement altruiste ne suffit pas, il y a aussi une raison égoïste de le faire : on sait que c'est aussi chez ces personnes immunodéprimées que de nouveaux variants ont le plus de chances d'émerger.

Autrement dit, vous voyez que vivre avec le virus ne veut pas dire ne rien faire. J'entends bien que les gens en ont assez. Mais il faut qu'ils mettent dans la balance le risque qu'eux ou leurs proches soient hospitalisés cet été, alors qu'il y a des endroits où la situation est extrêmement tendue. S'ils ne veulent pas se protéger, c'est vrai que cela relève en partie du choix individuel. Mais nos autorités pourraient aider les gens à faire choix et ne pas se contenter de dire : "Que voulez-vous ? Il faut vivre avec le virus." C'est un message défaitiste.

Selon vous, cet appel à la prudence doit-il s'accompagner de mesures d'obligation ?


Je crois qu'il faut essayer de passer un message intelligent. Il y a quelques endroits à risque élevé, comme les trains et les avions, où il faudrait rétablir une obligation du port du masque, ne serait-ce que pour faire passer le message que ce n'est pas fini. Pour le reste, il faut faire ce que j'appelle la 'pédagogie de l'incertitude'. Ne pas savoir avec certitude comment cette épidémie va évoluer provoque de l'inquiétude, c'est normal.
 

"Se raconter des histoires,
faire croire que l'épidémie est terminée
et qu'on peut passer à autre chose,
c'est préparer des lendemains difficiles."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


Donnons aux gens des arguments épidémiologiques, simplement expliqués, pour que chacun apprenne à évaluer son risque et adapte ses décisions de vie quotidienne. 

Ensuite, c'est comme quand vous faites du ski : vous choisissez de skier sur une piste verte ou une piste noire. Certains pays ont adopté un système de couleurs lié à la situation épidémique. Si on en avait un, la quasi-totalité de la France serait rouge aujourd'hui. Ce rouge veut dire que quand vous êtes dans des endroits clos ou très fréquentés, il est raisonnable de se protéger. Je trouve que les Français ont montré qu'ils étaient tout à fait capables d'avoir des comportements responsables.

Faut-il également tenir ce discours au sujet de la vaccination, alors que la campagne de rappel ne décolle pas vraiment ? En rappelant, notamment, que le vaccin contribue aussi à freiner la transmission ? Une partie de la population semble convaincue qu'il ne sert qu'à éviter les cas graves...


Le vaccin, ce n'est pas 0% ou 100% d'efficacité. On est partis d'un taux de protection rarement vu dans le monde de la vaccinologie. Aujourd'hui, il reste bon, autour de 70%. Je rappelle qu'il est rare que le vaccin contre la grippe nous donne plus de 50% de protection.

Il est vrai que le vaccin donne des effets indésirables, par exemple les myocardites. Mais aucun produit de santé n'a été aussi bien surveillé que celui-là. La quasi-totalité des cas sont bénins, et on sait que le risque est 10 fois inférieur à celui d'une myocardite après une infection au Covid-19. Donc le vaccin diminue le risque de myocardite par 10. C'est bon à prendre.

Pour le risque de contamination, c'est pareil : oui, on peut être vacciné et contaminer ses proches, mais le risque est fortement diminué. Si vous attendez qu'un vaccin soit efficace à 100% dans tous les domaines, vous ne prendrez aucun vaccin, contre aucune pathologie.

Pensez-vous que des doses de rappel régulières fassent partie des adaptations dont nous aurons besoin pour "vivre avec le virus" ? 


Ça me paraît envisageable. On attend tous avec impatience les résultats des essais en cours sur les vaccins bivalents, qui intègrent une souche d'Omicron. On peut espérer que, quelque part en automne, ces vaccins seront disponibles, et qu'ils nous redonneront un surcroît de protection. Il faut aussi être conscients qu'un nouveau variant peut complètement changer la donne. Mais le scénario d'avoir à stimuler notre immunité une à deux fois par an ne peut pas être écarté.

Face au discours du gouvernement, une partie de l'opposition politique insiste sur un autre élément : le manque de lits à l'hôpital. Pensez-vous qu'avec davantage de moyens et d'effectifs, il serait davantage possible de "vivre avec le virus" ?


Regardons les choses en face : si on avait eu non pas 5 000 lits de réanimation mais 30 000 en 2020, on n'aurait pas été confinés. On a fait adopter à l'hôpital un modèle industriel de flux tendu, dans lequel il n'y a quasiment pas de réserve. Est-ce qu'on continue dans cette direction ? Ou est-ce que notre société veut investir et laisser 20 000 lits de soins intensifs de réserve, mobilisables en quelques jours ? La réponse n'est pas seulement médicale ou épidémiologique : quand on sait ce que les confinements ont coûté en termes de PIB, on peut calculer un retour sur investissement.

"Si on surdimensionne le système de santé
par rapport aux soins habituels,
il est sûr qu'on pourra mieux absorber les chocs pandémiques.
Je trouve que ça mérite un vrai débat."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


Est-ce le seul investissement qui vous semble utile face au risque de nouvelles vagues de contaminations ?


Non. Personne ne sait quel est le plan de bataille pour l'assainissement de l'air en milieu scolaire, en vue de septembre. On sait aussi que la surveillance des eaux usées est certainement le moyen le plus précoce de surveiller l'émergence de nouveaux variants. Et je n'ai pas entendu de véritable plan à ce sujet.

Et si les Français, pressés de tourner la page de l'épidémie, abandonnent toutes les restrictions et les mesures barrières, vers quelles conséquences se dirigerait-on ?


Dans ce cas, si on avait à nouveau un variant qui échappe au vaccin et à l'immunité acquise, qui peut dire qu'on ne serait pas conduits à nouveau à prendre des mesures de confinement partiel ou total ?
 
On a vu la précédente vague. Au début du mois de mai, on était contents, parce qu'il y a eu un reflux très net. Puis cette baisse est devenue un plateau, le taux de reproduction [le nombre moyen de personnes à qui chaque malade transmet le virus] est repassé autour de 1, puis 1,2, 1,3...
 

"La situation que l'on a aujourd'hui
était entièrement prévisible le 15 mai.
Si, à ce moment-là,
on avait demandé aux gens
d'appliquer à nouveau les mesures
qui avaient été levées en mars,
je pense que nous n'aurions pas ce pic important
au mois de juillet."
William Dab, épidémiologiste
à franceinfo


Evidemment, je suis un médecin et un militant de la prévention, donc je fais valoir les arguments pour. Je suis prêt à entendre autre chose. Mais il me semble que la balance entre les bénéfices et les contraintes penche largement en faveur du bénéfice. Et le niveau de contraintes me semble tellement minime...



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